Domaine Servaas Blockeel - Lijsternest
"Que du raisin, rien d’autre"
C’est avec son T-shirt jaune où est inscrite cette phrase, que notre copain Servaas nous reçoit chez lui, à Zwevegem, petit patelin situé proche de Courtrai, en Flandres occidentale.
Ce n’est pas une blague belge : du vin, mais surtout du bon vin, est produit par ce Monsieur au profil atypique qui fait petit à petit bouger la scène ‘vin’ en Belgique, et dans les pays nordiques en général.
Le plat pays, qui est le sien, a vu son climat légèrement modifié ces dernières années. En parlant de la pluviométrie dans la région, Servaas constate « que depuis 2015, ils ont perdu en moyenne 200 mm de pluie par an ». C’est un constat, pas un apitoiement : les pluies nombreuses et généreuses que connaissait la Belgique s’amenuisent. Le temps où l’immense Jacques Brel parlait de ‘Chemin de pluie pour unique bonsoir’ n’est plus d’actualité.
Le Domaine de Servaas Blockeel, appelé en flamand ‘Wingaard Lijsternest’ (littéralement ‘Le Domaine des nids des Grives’), a vu le jour en 2013. Composé aujourd’hui de 4 hectares de vignes plantées sur les communes d’Otegem et de Tiegem, le domaine a atteint la surface que Servaas souhaitait. Il ne plantera pas plus de vignes, le but étant de continuer à travailler un maximum en vignes et pouvoir répondre à la demande commerciale de plus en plus en importante, en Belgique comme à l’export. C’est aussi le seul domaine à produire des vins naturels (en agriculture biologique et sans intrants œnologiques lors de la vinification).
Les petits coteaux où sont plantées les vignes sont sur des sols sablo-limoneux et le sommet de la ‘petite’ colline est composé de sols argilo-calcaire. C’est en haut de cette colline que se situe la Chapelle Fatima, qui donnera son nom à une des cuvées du Domaine.
Au Domaine, pas de travail du sol ou plutôt très peu. Le cavaillon (le dessous des ceps) est travaillé à l’aide de disques crénelés (en forme d’étoile) pour maitriser l’enherbement (pour éviter de faire une trop grande concurrence à la vigne). Servaas utilise un semoir après vendanges, où il mêle graminées, légumineuses et crucifères afin d’équilibrer naturellement son sol en différentes substances, notamment en azote et en carbone. Au printemps, il écrase/casse cette masse végétale au Rolofaca afin de nourrir les différentes bactéries et champignons présents dans le sol. Selon Servaas, cela permet aussi de conserver l’humidité du sol, de plus en plus importante et précieuse lorsqu’on s’aperçoit que nos étés sont de plus en plus chauds, fréquemment caniculaires.
Au Domaine, Servaas a fait le choix de planter des cépages résistants. Ne lui dites pas ‘hybrides’ ! Parlons plutôt de cépages qui ont été assemblés à d’autres et sélectionnés pour leur résistance à certaines maladies et conditions climatiques. Les cépages rouges et blancs sont plantées sur un rang sur deux, avec une densité de plantation autour de 6500 pieds hectares (90cm d’espacement entres les pieds de vigne, et 1.80 m entre chaque rang). Nous y trouverons, entre autres, du Muscat Bleu, Rondo, Cabaret Noir pour les cépages rouges, et du Solaris, Bronner pour les cépages blancs.
Servaas n’utilise aucuns produits de traitements, même certifiés bio. Oubliez donc cuivre, soufre… : les cépages qu’il a plantés sont peu impactés par le mildiou et l’oidium, les principales maladies cryptogamiques (autrement dit une maladie de la vigne qui vient d’un champignon) que la vigne subie. Pas de traitements, et une volonté de travailler de la façon la plus propre possible.
Entourées de cultures comme le maïs ou le blé, Servaas ne pouvait pas concevoir que sa volonté de travailler proprement soit mise à mal par des voisins travaillant encore en agriculture ‘classique’, c’est-à-dire utilisant des produits dits CMR (Cancérigènes – Mutagènes – Reprotoxique). Dès 2013, il a planté des haies composées d’une dizaine de variétés avec des objectifs multiples : créer une sorte de clos mettant à l’abri ses vignes des produits utilisés par ses voisins, favoriser la biodiversité en permettant à différents oiseaux et insectes d’y nicher, et enfin de recréer un paysage de type ‘bocage’, les haies délimitant prés, prairies & chemins.
Dans les vignes, on s’aperçoit que le cépage Solaris a une maturité plus avancée que le Bronner. Les guêpes en raffolent ! Le Cabaret Noir offre des petits baies ressemblant à du caviar. Quelques traces de grillures sur le Rondo. Pour votre information, début août 2020 en Belgique, il a pu faire jusqu’à 40 degrés au soleil… Mais la vigne tient le coup, et l’humidité conservée dans les sols par l’absence de labour a peut-être (même surement) jouée un rôle.
Lors des vendanges, les cépages rouges et blancs sont vinifiés ensemble, à condition que leur maturité soit à quelques jours près identiques. Un magnifique chai, construit en 2016, et isolé avec des matériaux naturels comme la paille, permet à Servaas de conserver une température stable autour des 16/18 degrés, ce qui est primordial pour des vins sans soufre ajouté.
L’ensemble de la vendange est égrappée à la main afin de préserver au maximum l’intégrité de la baie du raisin. On parlera ici de fermentation semi-carbonique (et non de fermentation carbonique qui nécessite des cuves closes extrêmement couteuses) qui permet au raisin d’exalter son fruit. La fermentation intracellulaire apportera croquant et fruité. L’élevage de la finesse et de la justesse.
Les fermentations alcoolique et malolactique sont effectuées dans des fûts de forme ovoides en HDPE (pour Polyéthylène à Haute Densité). Nous avons demandé à Servaas pourquoi vouloir utiliser ce type de matériaux. Il nous a répondu que l’inox réduisait beaucoup trop le vin (sans micro bulleur), le bois présentait des risques bactériens et levuriens non négligeables comme les Brettanomyces à l’origine d’arômes dits ‘phénolés’ (comme la sueur, le cuir ou encore des odeurs médicamenteuses comme le camphre) et la fibre de verre était totalement hermétique donc peu intéressant pour l’élevage du vin. Ne parlons pas du béton qu’il ne tient pas particulièrement dans son cœur.
Servaas procède au décuvage lorsque la fermentation alcoolique est presque terminée, l’idée étant de conserver une flore levurienne permettant de ‘finir les sucres’ et obtenir un vin qualifié de sec. Vient donc le pressurage, avec son petit pressoir vertical manuel.
Un élevage d’un an s’ensuit dans ces cuves en HDPE, avec la même micro oxygénation naturelle que des barriques de 3 vins. La mise en bouteille s’effectue en août, et sans ajout de soufre.
Et ça goute très bien…
Servaas nous a fait goûter ses deux vins, les cuvées Mag Da 2019 et Fatima 2019.
Mag Da à un profil légèrement plus tanique que Fatima. Un touché de bouche fruité, une bouche aérienne et florale. La belle acidité ainsi que les tannins soyeux équilibre le tout parfaitement !
Fatima, du nom de la Chapelle qui domine la colline, nous offre une couleur moins soutenue, et une structure légèrement plus florale, comme de notes de roses. Une finale plus aérienne mais un grain de tanin toujours aussi présent.
Ces deux vins pourront se garder au moins 5/7 ans, avec de belles surprises au bout de 10 ans j’en suis certain !
Podcast ‘Wingaard Lijsternest’, par Servaas Blockeel : « On peut travailler d’une façon très écologique si on le souhaite »
0’ : Introduction & et un peu d’histoire
0’40 : Le parcours de Servaas, et pourquoi avoir choisi la viticulture ?
2’29 : Descriptif du domaine : superficie, vision à long terme
3’18 : Quel fut l’accueil des paysans par rapport à ton projet ?
4’35: Le rôle des haies et des bocages dans l’écosystème du domaine
6’30 : La démarche ayant conduit Servaas à choisir les cépages représentés, et d’où viennent-ils ?
11’00 : Les principaux cépages présents sur le domaine
11’43 : Les travaux effectués (ou pas) en vigne et l’importance des engrais verts
14’26 : Quelles sont les variétés que Servaas privilégie ou pourquoi ?
16’14 : Les étapes de la vinification (egrapage, macération, fermentation, élevage)
17’38 : Le choix des contenants et leurs avantages pour une vinification sans soufre
20’11 : Présentation des deux cuvées du domaine
23’00 : Conclusion